Corpus de la synthèse

Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants

 

Document 1 : Alain FINKIELKRAUT, Qu'est-ce qu'être français ? (La Vie, 21 janvier 2010).
Document 2 : George ORWELL, 1984, II, IX (1949).
Document 3 : André COMTE-SPONVILLE, Petit traité des grandes vertus, 2 - La fidélité (1995).
Document 4 : Présentation de l'ouvrage de Sophie Lamoureux Comment parler de la Grande Guerre aux enfants (2013)



DOCUMENT 1

  Je suis né de parents d’origine polonaise, j’ai bénéficié avec eux d’une naturalisation collective lorsque j’avais 1 an. Je n’ai jamais été rien d’autre que français et en même temps il y a un moment de ma vie où je me suis demandé ce que cela signifiait d’être français. Ce sont les écrivains qui m’ont permis de répondre à cette question. Ronsard, La Fontaine, Nerval, Verlaine, Aragon, Racine et Corneille, Montaigne et Pascal, Diderot, Marivaux, Balzac, Stendhal, Flaubert ou Proust ont pour moi plus d’importance que Robespierre ou Napoléon. Je suis reconnaissant de parler une langue qui me donne immédiatement accès à une littérature aussi variée et aussi belle. Et j’ajoute, de manière plus objective, que les écrivains ont eu en France un rôle déterminant. C’est la raison pour laquelle je suis très inquiet du destin, à mes yeux tragiques, de notre idiome national, qui s’appauvrit chaque jour davantage.
  Dans un pays qui accueille un nombre toujours croissant d’étrangers, notre devoir est d’assurer une coexistence harmonieuse entre les uns et les autres. Pour dire les choses plus brutalement, d’éviter le conflit, d’empêcher la guerre civile. À cette fin, la France se doit de ne pas renoncer à elle-même. Dans certaines circonstances, la fidélité n’est pas une attitude passéiste. Elle est un projet d’avenir. Notre civilisation doit pouvoir s’affirmer face à ceux qui la contestent. Et nous ne devons rien céder à la francophobie montante dans notre pays. « Sale Français » est devenu une injure répandue dans les banlieues. On ne peut pas répondre à cela en faisant abstraction, au nom de la diversité et du respect de l’autre, de l’identité française. Ce serait d’ailleurs une entreprise vouée à l’échec que de vouloir intégrer dans une France qui ne s’aime pas, des gens qui n’aiment pas la France. Ne fût-ce que par les nouveaux dispositifs technologiques dans lesquels les enfants sont pris et absorbés dès leur naissance, notre pays est aujourd’hui menacé d’amnésie. Et, face à cette amnésie grandissante, la mémoire est un projet.

Nous avons besoin de la littérature, de ses nuances, des qualités dont elle est porteuse pour mieux voir. La littérature est une éducation de la sensibilité. Notre perception est aussi fonction de notre pouvoir d’énonciation et donc des œuvres que nous avons lues. Nous devrions aujourd’hui changer de paradigme. Notre but ne peut plus être de transformer le monde, mais de le sauver. Le philosophe allemand Hans Jonas parlait d’un passage du « principe espérance » au « principe responsabilité ». Dans la mesure où elle nous éduque à la beauté, la littérature nous donne les moyens, nous ouvre les yeux sur la variété des paysages. Elle peut nous aider, face à l’uniformisation, face au devenir de la banlieue, à épargner le monde ou ce qu’il en reste. La culture a la vertu de nous vieillir. Plus nous lisons, et plus nous sortons de notre temps. Et l’idéal serait de pouvoir habiter d’autres siècles.
  « Il faut en finir jeune avec la jeunesse, sinon quel temps perdu », écrivait Philippe Muray. Oui, je crois qu’aujourd’hui l’humanité est de plus en plus jeune. Elle n’est pas assez vieille, pas assez déployée. On parle sans cesse d’émancipation, alors émancipons-nous du présent. Nous avons besoin d’un détour par le passé pour comprendre quelque chose à ce que nous sommes. Si nous voulons embellir le monde, ou à tout le moins éviter qu’il ne s’enlaidisse irrémédiablement, il faut que nous puissions acquérir et transmettre le sens de la beauté. Je ne veux pas me détourner des urgences du présent, mais je ne vois pas comment une politique digne de ce nom, c’est-à-dire une politique qui soit souci du monde, pourrait faire l’économie de la culture et s’affranchir du passé.

Alain FINKIELKRAUT, Qu'est-ce qu'être français ? (La Vie, 21 janvier 2010).
 

 DOCUMENT 2

[George Orwell imagine une société future, qu'il situe en 1984. Nous sommes à Londres, en Oceania, où les dirigeants ont imposé une langue nouvelle, la novlangue. Winston Smith est un membre de la « caste » intermédiaire du régime océanien, l'Angsoc (mot novlangue pour « Socialisme Anglais »). Au ministère de la Vérité, son travail consiste à remanier les archives historiques afin de faire correspondre le passé à la version officielle du Parti. De tempérament rebelle, il s'est procuré le livre fondateur de ce système totalitaire, Théorie et Pratique du collectivisme oligarchiqued'Emmanuel Goldstein, dont il lit ici le premier chapitre.]


  Le changement du passé est nécessaire pour deux raisons dont l’une est subsidiaire et, pour ainsi dire, préventive. Le membre du Parti, comme le prolétaire, tolère les conditions présentes en partie parce qu’il n’a pas de terme de comparaison. Il doit être coupé du passé, exactement comme il doit être coupé d’avec les pays étrangers car il est nécessaire qu’il croie vivre dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles vivaient ses ancêtres et qu’il pense que le niveau moyen du confort matériel s’élève constamment.


  Mais la plus importante raison qu’a le Parti de rajuster le passé est, de loin, la nécessité de sauvegarder son infaillibilité. Ce n’est pas seulement pour montrer que les prédictions du Parti sont dans tous les cas exactes, que les discours statistiques et rapports de toutes sortes doivent être constamment remaniés selon les besoins du jour. C’est aussi que le Parti ne peut admettre un changement de doctrine ou de ligne politique. Changer de décision, ou même de politique est un aveu de faiblesse.


  Si, par exemple, l’Eurasia ou l’Estasia, peu importe lequel, est l’ennemi du jour, ce pays doit toujours avoir été l’ennemi, et si les faits disent autre chose, les faits doivent être modifiés. Aussi l’histoire est-elle continuellement récrite. Cette falsification du passé au jour le jour, exécutée par le ministère de la Vérité, est aussi nécessaire à la stabilité du régime que le travail de répression et d’espionnage réalisé par le ministère de l’Amour.
  La mutabilité du passé est le principe de base de l’Angsoc. Les événements passés, prétend-on, n’ont pas d’existence objective et ne survivent que par les documents et la mémoire des hommes. Mais comme le Parti a le contrôle complet de tous les documents et de l’esprit de ses membres, il s’ensuit que le passé est ce que le Parti veut qu’il soit. Il s’ensuit aussi que le passé, bien que plastique, n’a jamais, en aucune circonstance particulière, été changé. Car lorsqu’il a été recréé dans la forme exigée par le moment, cette nouvelle version, quelle qu’elle soit, est alors le passé et aucun passé différent ne peut avoir jamais existé. Cela est encore vrai même lorsque, comme il arrive souvent, un événement devient méconnaissable pour avoir été modifié plusieurs fois au cours d’une année. Le Parti est, à tous les instants, en possession de la vérité absolue, et l’absolu ne peut avoir jamais été différent de ce qu’il est.


  Le contrôle du passé dépend surtout de la discipline de la mémoire. S’assurer que tous les documents s’accordent avec l’orthodoxie du moment n’est qu’un acte mécanique. Il est aussi nécessaire de se rappeler que les événements se sont déroulés de la manière désirée. Et s’il faut rajuster ses souvenirs ou altérer des documents, il est alors nécessaire d’oublier que l’on a agi ainsi. La manière de s’y prendre peut être apprise comme toute autre technique mentale. Elle est en effet étudiée par la majorité des membres du Parti et, certainement, par tous ceux qui sont intelligents aussi bien qu’orthodoxes. [...]


  Toutes les oligarchies du passé ont perdu le pouvoir, soit parce qu’elles se sont ossifiées, soit parce que leur énergie a diminué. Ou bien elles deviennent stupides et arrogantes, n’arrivent pas à s’adapter aux circonstances nouvelles et sont renversées ; ou elles deviennent libérales et lâches, font des concessions alors qu’elles devraient employer la force, et sont encore renversées. Elles tombent, donc, ou parce qu’elles sont conscientes, ou parce qu’elles sont inconscientes.


  L’œuvre du Parti est d’avoir produit un système mental dans lequel les deux états peuvent coexister. La domination du Parti n’aurait pu être rendue permanente sur aucune autre base intellectuelle. Pour diriger et continuer à diriger, il faut être capable de modifier le sens de la réalité. Le secret de la domination est d’allier la foi en sa propre infaillibilité à l’aptitude à recevoir les leçons du passé.

George ORWELL, 1984, II, IX (1949).



 DOCUMENT 3

  L'avenir nous inquiète, l'avenir nous hante : son néant fait sa force. Du passé, au contraire, il semble que nous n'ayons plus rien à craindre, plus rien à attendre, et cela sans doute n'est pas tout à fait faux. Épicure en fit une sagesse : dans la tempête du temps, le port profond de la mémoire... Mais l'oubli en est un plus sûr. Si les névrosés souffrent de réminiscence, comme disait Freud, la santé psychique doit bien, en quelque chose, se nourrir d'oubli. « Dieu garde l'homme d'oublier d'oublier ! », écrit le poète, et Nietzsche a bien vu aussi de quel côté étaient la vie et le bonheur. « Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est impossible de vivre sans oublier. » Dont acte. Mais la vie est-elle le but ? Le bonheur est-il le but ? Du moins cette vie-là et ce bonheur-là ? Faut-il envier l'animal, la plante, la pierre ? Et quand bien même on les envierait, faudrait-il se soumettre à cette envie ? Que resterait-il de l'esprit ? Que resterait-il de l'humanité ? Faut-il ne tendre qu'à la santé ou à l'hygiène ? Pensée sanitaire, qui trouve là sa force et ses limites. Quand bien même l'esprit serait une maladie, quand bien même l'humanité serait un malheur, cette maladie, ce malheur sont nôtres - puisqu'ils sont nous, puisque nous ne sommes que par eux. Du passé, ne faisons pas table rase. Toute la dignité de l'homme est dans la pensée; toute la dignité de la pensée est dans la mémoire. Pensée oublieuse, c'est pensée peut-être, mais sans esprit. Désir oublieux, c'est désir sans doute; mais sans volonté, sans cœur, sans âme. La science et l'animal en donnent à peu près l'idée - encore n'est-ce pas vrai de tous les animaux (certains sont fidèles, dit-on) ni, peut-être, de toutes les sciences. Peu importe. L'homme n'est esprit que par la mémoire; humain, que par la fidélité. Garde-toi, homme, d'oublier de te souvenir !


  L'esprit fidèle, c'est l'esprit même.

André COMTE-SPONVILLE, Petit traité des grandes vertus, 2 - La fidélité (1995).



 DOCUMENT 4

Comment parler de la Grande Guerre aux enfants

Sophie Lamoureux  (2013)


 

La Première Guerre mondiale a éclaté il y a cent ans. Sa violence, ses morts et ses blessés, sa durée et sa démesure lui ont valu le surnom de « Grande Guerre ». Si cette tragédie reste gravée sur les monuments aux morts, elle est appelée à s’effacer des mémoires.

 
  Pourtant, ce conflit livre aux enfants d’aujourd’hui des enseignements essentiels pour le présent et l’avenir. Éclairées sur le passé de leurs arrière-grands-parents, les jeunes générations peuvent ainsi comprendre les conséquences de ce conflit, de la Seconde Guerre mondiale à la construction de l’Union européenne.