François Villon

Figure étonnante que celle de ce maître ès arts disparaissant de la circulation vers 1463, après avoir trempé dans différentes affaires louches : un personnage, dont les couleurs sont rehaussées par les portraits qui émaillent son œuvre, portraits poussés au noir, obsédés par la perte, la mort, la décrépitude. Villon fréquenta la Coquille, association de malfaiteurs dont il emprunta l'argot, dans telle ou telle pièce aux beautés à présent obscures ; il fut aussi connu des grands, qui plusieurs fois le sauvèrent de la potence. Le voisinage avec la mort n'est pas sans informer la thématique de ses Ballades et de l'écriture testamentaire où il s'illustre (Lais, Grand Testament, réunis sous le titre de Testaments). Entre grimace et gravité, une esthétique s'y fait jour, fidèle dans les ballades aux enseignements de la rhétorique mais enrichissant considérablement dans le Testament le champ poétique par son savant désordre, le mélange des tons, la présence d'archaïsmes, l'oralité occasionnelle, la richesse explosive du sens, qui constitue le recueil en somme, multipliant les lectures possibles, jouant systématiquement du double sens. Entre rire et méditation douloureuse sur le passé, une légende s'y forge : Villon lègue à la postérité une figure du poète en maudit, qui tend à cacher celle de l'artiste et de l'inventeur.

Ballades

Trois couplets suivis d'un envoi : sous cette forme fixe, qu'il aménage à l'occasion, toute la prodigieuse variété de Villon. Les ballades sont le creuset du Testament, qui en reprendra quelques unes. On ne saurait les introduire sans toutes les décrire, tant leur style et leur ton diffèrent, l'écriture de chacune inventant sa propre poétique ; ainsi de la mélancolique nostalgie des Dames du temps jadis, qui s'exprime aussi par l'usage en cette ballade d'un lexique archaïsant ; ou des Ballades du jargon, jouant de l'argot des coquillards. Signalons la Ballade des pendus, qui parla si fort à la sensibilité romantique, et qui annonce par bien des aspects le Testament.

Testaments

Le Lais (legs) de 1456 n'apparaît en regard du Grand Testament que comme une plaisante satire, qui à chacun attribue un objet, un symbole, voire une enseigne de son quartier ; aux moines, de gras chapons, etc. La violence de l'autoportrait final annonce le Testament de 1461, qui explore avec une profondeur nouvelle la voie ouverte deux siècles auparavant par Rutebeuf : la dimension personnelle éclate, soutenue par une marqueterie poétique. La confession alterne avec d'autres voix, les registres et les styles, les époques mêmes s'entremêlent. Tester n'est que prétexte à un bilan souvent amer, dressé au regard de figures et de moralités qui rappellent la fuite du temps, l'échéance inéluctable de la mort, la nécessité de s'amender. Mais le regret s'accompagne de rire, dans telle ou telle ballade ou dans les legs facétieux à ses compagnons de ribote. Farce aux couleurs macabres, le Testament est aussi une somme poétique, le lieu d'éploiement d'un verbe à la richesse inégalée, passant de la trivialité la plus crue aux jeux du sens les plus subtils.